James Wilson Morrice (1865-1924)
Né à Montréal en 1865,
au sein d'une famille très aisée, Morrice
étudia le droit avant de se rendre en Europe pour se consacrer à
sa vraie passion, la peinture. Londres est son premier choix,
mais il constate rapidement que c'est Paris qui attire les jeunes
peintres, et on l'y retrouve au printemps 1892.
Ses premiers amis sont des peintres, américains pour la plupart:
Maurice Prendergast, et un peu plus tard Robert Henri et William
Glackens, trois des artistes qui formeront le groupe "The Eight"
en 1908. Les jeunes artistes parcourent ensemble les rues de Paris (L'Omnibus), ou
flânent sur les plages de Dieppe ou de Saint-Malo, notant leurs
idées dans des carnets ou sur de petits panneaux de bois; leurs
toiles de grand format seront peintes plus tard, en atelier.
Même si les Impressionnistes sont de plus en plus connus, Morrice
et ses amis ne suivent pas leurs avances techniques, préférant
les tons sombres et les scènes nocturnes; leur idole est le
peintre américain expatrié, James McNeill Whistler. Les rapports
qu'il établit entre la musique et la peinture ont tout pour
séduire Morrice, dont l'autre passion était la musique: toute sa
vie il a joué de la flûte.
Ce n'est pas à Paris, mais lors d'un séjour de quelques mois au
Québec, à l'hiver 1896-97, que Morrice découvre les couleurs
claires des impressionnistes, les seules qui peuvent rendre avec
justesse la vive lumière d'un hiver canadien. Il suit
probablement l'exemple de son ami Maurice Cullen, jeune peintre
canadien tout juste rentré de Paris; les deux amis passent
quelque jours ensemble à
Sainte-Anne-de-Beaupré.
Morrice n'adopte pas tout de suite la technique impressionniste
de la touche divisée. Les toiles peintes juste avant 1900 ont une
pâte très épaisse, dont il égalise la surface; les modulations de
couleur sont rendues par des passages semi-transparents de
différents tons, appliqués très légèrement sur la surface
écrasée. Il en résulte des harmonies très subtiles, dont la
délicatesse apparaît au fur et à mesure que l'on regarde le
tableau; en bon musicien, Morrice introduit la dimension
temporelle dans ses toiles.
Venise au crépuscule est une oeuvre charnière: si le ciel et
les façades sont un dernier écho de Whistler, c'est bien la
touche impressioniste que Morrice utilise pour rendre le
miroitement du soleil couchant sur le Grand Canal. C'est une
période heureuse pour le peintre canadien: il s'installe au bord
de la Seine, voyage beaucoup (France, Espagne, Venise), et
rencontre la femme de sa vie, Léa Cadoret. Ils se fait aussi de
nouveaux amis: le romancier anglais Somerset Maugham le prendra
pour modèle lorsqu'il créera le personnage du poète Cronshaw dans
Servitude humaine. Morrice expose aussi de plus en plus, et ses
toiles sont appréciées des critiques, du moins à Paris, le Canada
étant pour le moment moins réceptif.
La palette de Morrice s'éclaircit après 1903: il utilise une pâte
très diluée sur des fonds clairs, mais ses harmonies sont
toujours très subtiles. Des toiles peintes d'après des croquis
et esquisses rapportés de Dieppe, Marseille, Venise, Montréal
et Québec, et un peu plus tard de Concarneau et du Pouldu, en
Bretagne (long séjour en 1909-10), illustrent cette nouvelle
tendance. Certaines couleurs plus vives suggèrent même une
influence des Fauves.
Vers 1908, Morrice se lie d'amitié avec le plus célèbre d'entre
eux, Henri Matisse. Il le retrouve à Tanger, Maroc, au début de
1912, puis de nouveau un an plus tard. Le peintre canadien n'est
pas insensible aux audaces du français: certaines toiles
marocaines de Morrice accordent beaucoup d'importance à l'effet
décoratif.
Copyright © 1998, Lucie Dorais